C'était le bon temps...

Je vous avais promis un article sur la diversification. Je le ferai. Mais avant, celui-ci. Chassez le naturel, il revient au galop : je crois être une personne de convictions, et si je ne fais pas forcément tout ce que je pourrais faire pour vivre selon ces convictions, au moins ai-je souvent envie de l'ouvrir pour les exprimer.

Je suis toujours horripilée par la maxime "C'était mieux avant". Avant, y'avait du respect, y'avait de la discipline, y'avait des valeurs, les enfants étaient polis, la vie était peu chère, chacun avait du travail. Oui oui, et avant :

- les femmes vivaient sous la coupe de leurs maris et n'avaient pas le droit de vote,

- la contraception était interdite mais on appelait traînées les jeunes filles qui tombaient enceintes hors mariage,

- on envoyait tous les jeunes hommes à l'armée quand ils atteignaient 18 ans,

- les pauvres se tuaient au travail et vivaient dans des taudis insalubres,

- l'homosexualité était une tare et "nègre", "youpin" et "bicot" faisaient partie du vocabulaire courant,

- les enfants recevaient des coups de règle de la part des maîtres et des coups de martinet de la part des parents.

(Et je vous parle d'il y a quelques dizaines d'années, hein, pas d'il y a trois siècles.)

Alors oui, il y a toujours des progrès à faire contre le sexisme, la violence, le rejet social, l'homophobie, le racisme... Et dans l'éducation, certes, mais dans le sens non pas d'une éducation plus sévère, mais plus bienveillante, pour faire non pas des enfants plus sages, mais des adultes plus équilibrés (comment en sommes-nous venus à trouver normal de prendre des anti-dépresseurs pour évoluer normalement dans la société ?). L'humanité va dans le bon sens. Et si le culte de la hiérarchie, la discipline militaire et les valeurs traditionalistes sont en voie de disparition, c'est probablement qu'ils sont incompatibles avec la marche de cette humanité.

Pour en revenir au thème de ce blog, je trouve néfaste de glorifier les enfants sages, propres et polis. Un enfant sage, c'est peut-être un enfant qui vit dans la terreur des représailles de ses parents. Un enfant propre, c'est peut-être un enfant qui s'empêche de jouer pour ne pas se salir. Un enfant poli, c'est peut-être un enfant à qui on a appris que "bonjour", "merci" et "au revoir" étaient les piliers des relations entre êtres humains. Ce ne sont pas, à mon sens, des signes infaillibles de bonne éducation.

Quand on arrêtera de dire aux enfants qu'ils n'ont droit de rien sauf de se taire, on créera peut-être des adultes moins avides de liberté à tout prix, moins persuadés que parce qu'ils ont arrêté de grandir, ils ont tous les droits. On me rétorquera peut-être par les enfants des cités, laissés pour compte par des parents démissionnaires, qui sombrent dans la délinquance. Ce n'est pas mon propos.

(Quoique : on ne me fera pas croire que la majorité des délinquants ont bénéficié d'une éducation bienveillante à la maison. Je pense plutôt qu'ils ont pâti d'une éducation complètement décousue à base de "Fais ce que tu veux mais fais pas chier si tu veux pas recevoir une torgnole.")

(Quoique bis : si on arrêtait de râler contre les aides sociales prélevées sur le salaire des honnêtes travailleurs, on s'apercevrait peut-être que ces aides sociales pourraient contribuer, et contribuent, à faire faire des études qualifiantes à ces jeunes issus de milieux défavorisés.)

Mon propos, ce sont les personnes qui te font des queues de poisson sur l'autoroute, qui laissent attendre les femmes enceintes aux caisses des supermarchés, qui jettent leurs déchets sur la voie publique. Ces gens-là qui n'ont aucun respect des autres, qu'on n'aille pas me dire que ce sont uniquement de jeunes délinquants des cités.

Alors bien sûr que moi aussi, j'aimerais avoir des enfants sages, propres et polis. Parce que personne n'a envie de devoir surveiller ses enfants comme le lait sur le feu, personne n'a envie de passer sa vie à faire tourner des machines et personne n'a envie d'être taxée de laxisme par le tout-venant. Peut-être que s'ils ne le sont pas, j'aurai un peu honte. Mais si à côté ils sont gentils, sociables, compatissants et bien dans leur peau, je considérerai que j'ai déjà fait du bon travail.