Mon point de vue sur l'éducation a beaucoup évolué avec le temps.

Quand j'étais plus jeune, enfant ou adolescente, la question de l'éducation ne me posait absolument pas souci. Pour moi, c'était naturel, d'être mère. Bien sûr, il fallait gronder et punir parfois, et apprendre la politesse, mais ayant été moi-même plus ou moins bien élevée, je ne voyais pas ce que ça pouvait avoir de compliqué. Je me disais que je ne reproduirais pas certaines erreurs de mes parents, mais ça restait simple : il suffisait de faire l'inverse pour les points posant problème, et la même chose pour le reste.

En devenant adulte, ma vision de l'éducation s'est complexifiée. Avoir des enfants ayant toujours été un véritable but dans ma vie (LE but, même), je me suis un peu plus renseignée sur la question. Au gré de mes études (j'ai fait, entre autres, une année de médecine et une année d'IUFM) et de mes lectures (essentiellement sur des blogs), j'ai découvert les étapes du développement de l'enfant, l'éducation bienveillante, les travaux de Maria Montessori, la motricité libre, l'école à la maison... Toutes ces notions qui font encore les beaux jours de la blogosphère parentale.

L'éducation, tout d'un coup, me paraissait beaucoup moins naturelle. Il y avait, pour résumer, la bonne et la mauvaise éducation. Et la mauvaise éducation, ce n'était plus une histoire de gosses malpolis ou de gamins hurlant dans les supermarchés, c'était surtout ce qui était irrespectueux de l'évolution et de la personnalité de l'enfant. La ligne de conduite, nourrie de mes connaissances nouvelles, était claire, limpide. Évidemment, ça n'allait pas de soi, mais moi j'y arriverais ! Si les autres n'élevaient pas bien leurs enfants, c'était qu'ils n'avaient pas les bonnes bases, ou ne faisaient aucun effort.

Et puis Choupie est arrivée. Dans un contexte qui nous était propre, avec notre propre histoire et son propre caractère. Et les grandes lignes directrices de mon éducation rêvée se sont rapidement brouillées dans mon esprit. La motricité libre, oui, c'est une super théorie. Mais en pratique, Choupie, posée sur son tapis d'éveil, elle avait l'impression d'être abandonnée et hurlait tant et plus. L'éducation bienveillante, oui, bien sûr, c'est le top. Mais quand ta fille est loin, très loin d'être un Gandhi en puissance, c'est difficile de continuer à interagir avec elle de façon calme et posée.

Alors oui, à cette époque, je me suis dit qu'élever un enfant, c'était très, très compliqué. Peut-être la tâche la plus dure qu'un humain ait jamais à effectuer. Culpabilité, crises de nerf, remises en question... je me suis rendu compte que c'était plutôt ça, le quotidien d'un parent. Bien loin du naturel des théories de mon enfance, et de la rectitude de celles conçues dans ma vie de jeune adulte nullipare.

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Et puis un jour, il n'y a pas longtemps, j'ai eu la révélation. Non, ce n'est pas difficile d'élever un enfant.

La preuve, tout le monde peut y arriver. Bien sûr, certains enfants sont moins bien élevés que d'autres. Mais enfin, c'est tout de même à la portée de (presque) tout le monde de garder son enfant en vie jusqu'à l'âge adulte. Et finalement, c'est ce qui compte le plus. Je connais des personnes qui ont eu une éducation désastreuse et sont quand même devenus des gens très bien. Et a contrario, tous les parents de criminels ne sont pas directement responsables des dérives de leurs enfants.

En fait, élever un enfant, ce n'est qu'une histoire de résistance aux pressions. De toutes sortes.

Il y a bien sûr la pression explicite. Les personnes qui te disent texto que tu devrais faire ceci ou cela, que tu ne fais pas bien, que tu pourrais faire mieux. Ce sont la famille, les amis, les médecins, la voisine ou la crémière. Toutes ces personnes qui jugent ton éducation de l'extérieur et se permettent de donner leur avis. Ben oui, c'est tellement facile, quand tu n'y es pas. 

Il y a aussi la pression implicite, plus fourbe. Par exemple, la blogosphère. Ce monde de bisounours où aucune personne fréquentable ne se permet de juger son prochain. Mais où chacun déballe sans vergogne ses propres principes, ses propres exploits de parent parfait : couches lavables, petits pots maison, activités ludico-éducatives. Bien sûr, tu ne vois qu'une partie du quotidien de ces parents, et ce ne sont pas forcément les mêmes qui cuisinent bio et montessorisent à longueur de journée. Mais difficile de ne pas se trouver nul devant toutes ces belles choses mises bout à bout.

Il y a encore, et surtout, la pression que te met ton enfant. Quand il hurle, quand il s'oppose, quand il t'empêche d'être le parent parfait que tu rêverais d'être. Je me dis souvent que Choupie m'empêche d'être une bonne mère. Bien sûr, moi je l'habille de façon adaptée à la température et je lui cuisine des plats équilibrés : c'est la base. Mais elle se déshabille quand j'ai le dos tourné et boude ses haricots verts. Bien sûr que je lui parle calmement, que je l'aime, que je la respecte. Alors pourquoi hurle-t-elle, me repousse-t-elle et me prend-elle pour son chien ? C'est tellement dur de rester bienveillante dans ces conditions.

Il y a enfin la pression intérieure, somme de toutes les précédentes. Vouloir satisfaire ta mère et ta voisine, coller aux dogmes entendus un peu partout, être une bonne mère douce et raisonnable même quand ton enfant n'est pas lui-même un ange de douceur et de raison.

Ce sont toutes ces pressions qui donnent l'impression que c'est difficile d'élever un enfant. Alors que quand on arrive à se détacher de tout cela, il apparaît en fait qu'il n'y a rien de sorcier à l'exercice.

Élever un enfant, ça ne demande pas d'être très intelligent, ou d'avoir fait de longues études. Ça ne demande pas de réfléchir intensément, de raisonner en thèse, antithèse, synthèse. C'est moins difficile que de travailler, que de compter, que d'écrire. Tout le monde peut être un bon parent, pourvu qu'il s'en donne les moyens. Le tout, c'est d'arriver à mettre à distance toutes les pressions. De relativiser, de faire ce que nous on peut, avec nos propres moyens et nos propres capacités.

Être au clair avec notre propre vision de l'éducation. Sachant qu'on ne peut pas être sur tous les fronts, qu'est-ce qu'on priorise ? La santé, les bonnes manières, l'apprentissage, l'indépendance ? Pour moi, le plus important, c'est l'autonomie et la sécurité affective (l'autonomie, c'est ce que j'ai préféré dans l'éducation que m'ont donnée mes parents, la sécurité affective, c'est ce qui m'a le plus manqué). Et effectivement, d'autres choses (importantes aussi) passent chez nous au second plan, comme les activités éducatives ou la politesse. 

Dans la relation à l'enfant, il est aussi important de réussir, comme disait Maman Louve, à enclencher le bouton off.

C'est normal qu'un enfant hurle, pleure, se mette dans tous ses états. C'est incompréhensible de notre point de vue d'adulte, surtout quand c'est pour des broutilles, mais c'est normal étant donné son absence de maturité intellectuelle et affective. Si les humains naissaient matures, on les appellerait des mini-adultes, pas des bébés. Demander à un enfant d'être raisonnable, c'est comme demander à un pingouin de compter jusqu'à dix. Si tu le dresses bien, tu arriveras peut-être à en donner l'illusion, mais qu'on me dise l'intérêt, ou même la légitimité, qu'on peut avoir à dresser un pingouin ou un enfant.

Il nous faut donc, en tant qu'adulte, réussir à se mettre (parfois) émotionnellement en retrait. Ne pas finir dans le même état que l'enfant, se sentir aussi mal que lui, ne pas craquer ou céder. C'est une sacrée gymnastique, de garder son calme face à un enfant qui hurle. Dans la nature, un petit qui crie, c'est synonyme de danger immédiat, et c'est instinctif de ne pas le supporter, de vouloir agir, de tout faire pour qu'il arrête. Mais parfois, il n'y a rien à faire.

On ne va pas lui donner trois glaces à la suite ou accepter qu'il se balade en short par - 10°C (je veux bien que la santé ne soit pas dans mes top priorités, mais je ne suis pas non plus totalement inconsciente). Évidemment, on peut trouver dans les livres ou sur Internet des pistes pour désamorcer les crises. Mais l'enfant n'est pas un robot : il n'y a pas une méthode qu'il suffirait d'apprendre par coeur et qui marcherait avec lui à tous les coups. Parfois, la crise est juste inévitable. Alors, si rien d'autre ne marche, il y a juste à attendre, et à revenir vers lui un peu plus tard, en gardant la même disponibilité qu'avant la crise.

Non, ce n'est pas difficile d'élever un enfant. Difficile moralement, peut-être, un peu physiquement, sans doute, mais pas difficile au sens où on l'entend habituellement. C'est pour ça qu'on peut le faire (presque) à tout âge, (presque) dans n'importe quelles conditions. Qu'on peut être pauvre, riche, jeune, vieux, flegmatique, impulsif, laxiste ou rigide, et réussir à faire de ses enfants des adultes efficients.

Et quand on a compris cela, une bonne partie de cette pression, celle qu'on se met à soi-même, eh bien elle retombe.