J'ai commencé ce blog il y a trois ans. A l'époque, c'était la grande mode de l'éducation bienveillante, le concept était dans toutes les bouches (ou sur tous les écrans d'ordinateur, car je persiste à penser que pour les parents non connectés, c'est toujours le Super Nanny style qui fait référence). La chose s'est un peu tassée ces dernières années, jusqu'à, il me semble, revenir en force récemment. Avec ses aficionados qui trouvent toujours que c'est un concept révolutionnaire, vite répandons la bonne parole, et ses détracteurs, qui n'hésitent plus à dire que les premiers commencent à les leur briser sévère avec leur bienveillance.

Si vous me suivez régulièrement, vous savez que j'appartiens au premier groupe. Je suis pro-éducation bienveillante. Complètement. Sans équivoque. Alors pourquoi ce titre ? Eh bien on m'a dit dernièrement que les parents qui prônaient l'éducation bienveillante étaient peut-être/parfois/souvent les pires une fois les portes fermées. Je me suis donc intéressée à ce qui se passait derrière ma porte. Et le constat est sans appel.

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Si vous demandez à mes voisins, je ne pense pas du tout qu'ils me décriront comme une maman douce et compréhensive. Ils vous diront sûrement plutôt que je crie comme un putois et que mes imprécations font trembler tout le quartier. Ce n'est pas tant que je crie souvent (je dirais une fois par semaine ?), mais je crie fort. Très fort. Bien qu'ayant toujours vécu en Bourgogne, j'ai une chevelure et un caractère méditerranéens.

Et évidemment je ne frappe ni n'insulte mes filles, mais je ne leur dis pas pour autant des gentillesses dans ces cas-là. C'est plutôt de l'ordre de "Oh, stop, tais-toi, attends, chut, arrête de hurler bordel !" (le comble). Et même tarif pour Kitty (bien que ce soit évidemment plus rare), qui n'a que 2 mois. Car évidemment les hurlements maternels s'accompagnent de hurlements filiaux, souvent en stéréo, donnant je pense une bonne impression de chaos total dans ma maison (et si ce n'était qu'une impression...) (mes voisins ne m'en disent rien, évidemment, mais j'imagine ce qu'ils en pensent, et souvent je baisse un peu la tête devant eux quand je sors dans la rue...).

Ça arrive rarement quand Papa-chat est là (j'ai besoin de lui, je n'aimerais pas qu'il demande le divorce), mais les soirées où je dois nourrir, doucher et coucher les deux en même temps (ou même seulement Choupie, quand elle était en plein terrible two) sont souvent fatales à ma zénitude et propices au craquage total sur fond d'apocalypse.

Et si dans quelques années, vous demandez à mes filles, je pense qu'elles aussi riront bien d'apprendre que je prônais ce modèle d'éducation. Elles me rappeleront sans doute sans une once de clémence comment je les mettais hurlantes dans leur chambre pendant plusieurs longues minutes quand j'étais à bout (là encore c'est plutôt rare, peut-être de l'ordre d'une fois tous les deux mois, mais on retient les expériences, pas leur fréquence) ou sur quel ton glacé je leur répondais plusieurs fois d'affilée : "Je m'en fiche, débrouille-toi, je ne veux rien savoir" après une énième bêtise et/ou une énième demande. 

Non, derrière ma porte, ce n'est pas joli joli. Et je suis toujours un peu surprise qu'après de tels débordements, Choupie me fasse toujours des câlins/bisous/"t'es trop gentille je t'aime Maman" et que Kitty soit toujours aussi motivée à dormir contre ma poitrine chaude et réconfortante plutôt que dans son lit (zut !). Il y a donc, j'en suis certaine, une sorte de droit à l'oubli qui existe pour ces comportements : ça ne se transforme pas directement en traumatisme sans passer par la case départ.

Peut-être aussi que Choupie s'en veut. Après tout, quand je la dispute, je lui fais croire que c'est de sa faute. Alors qu'elle n'a que 3 ans et que c'est tout à fait normal qu'elle ne soit pas raisonnable, qu'elle n'arrête pas de faire des conneries tester des trucs et de me casser les pieds demander de l'attention parce que j'ai Kitty dans les bras. C'est complètement stupide d'attendre d'un enfant de cet âge qu'il soit toujours calme et bien disposé, ou qu'il ne soit dissipé que quand on a la disponibilité intellectuelle pour s'en occuper. Bien sûr, il doit apprendre tout ça, la patience, le partage, à avoir un comportement adapté à la situation, mais il n'apprend pas mieux dans les cris. C'est pour ça que mes agissements me font souvent franchement honte.

Mais bon, je suis humaine. Je suis même humaine particulièrement fort, avec mon caractère de poissonnière marseillaise (désolée pour les poissonnières marseillaises qui pourraient me suivre). Ça fait partie de ma personnalité, de mes défauts, et mes enfants vont devoir vivre avec jusqu'à ce qu'ils soient en âge de quitter la maison.

Je suis pour la bienveillance envers les enfants. Complètement. Sans équivoque. Mais je suis aussi pour la bienveillance envers leurs parents. Pour moi ce n'est pas du tout antagoniste. Tout comme on peut être végétarienne et portée sur le social : s'intéresser au sort des animaux ET des humains (c'est mon cas aussi). Je suis bienveillante envers les parents débordés, dépassés, moralement et nerveusement à bout (comme moi, ha ha, ça m'arrange). Jamais vous ne m'entendrez dire : "Putain, ça faisait trois heures qu'il enchaînait bêtise sur bêtise en se marrant malgré tes interventions et tu lui as mis une fessée ? J'espère que tu te sens bien minable là maintenant !" (et pourtant je n'ai moi-même jamais mis de fessée à mes filles, mais j'en ai fait d'autres).

Par contre il est vrai que j'ai plus de mal à tolérer la malveillance froide, habituelle, voire institutionnalisée ("c'est pour leur bien"). Et je pense qu'on doit vraiment lutter contre. Notamment en répandant la bonne parole de l'éducation bienveillante, pour montrer que non, ce n'est pas normal de frapper, de déprécier, de stigmatiser, que ça ne fait pas du bien aux enfants (et il n'y a pas besoin de lire des études pour s'en rendre compte : c'est du bon sens), même si ça a été la norme pendant de nombreuses années (décennies... siècles...).

Et le plus paradoxal, c'est que quand je discute un peu plus en avant avec ces personnes à qui l'éducation bienveillante casse les noisettes (qui sont généralement des personnes éduquées, car les gens les moins éduqués n'ont probablement jamais entendu parler de ce courant, ou en tout cas pas de façon récurrente), je me rends compte qu'en fait nous sommes d'accord sur le fond. Elles non plus ne sont pas pour les cris, les violences, les insultes et les méchancetés envers les enfants. Elles aussi s'en veulent quand ils ont perdu leur sang-froid et préféreraient vivre dans une maison apaisée où chaque personnalité s'apanouirait à sa guise.

Bien sûr, nous avons quelques différences. Je ne punis pas mes enfants "à froid" : pour moi c'est toujours une pratique de la dernière chance afin de ne pas les assassiner. Je fais extrêmement attention à ne pas les culpabiliser durablement et je passe l'éponge très vite sur leurs bêtises après une simple remontrance. Mais est-ce que je peux être amie avec quelqu'un qui envoie ses enfants au coin quand ils se sont renversé leur assiette de petits pois sur la tête ? Oui. Est-ce que je peux même éviter de lui faire une tirade sur les méfaits de la punition quand je vois ça ? Oui. Je n'ai pas la science de l'éducation infuse et je ne considère pas ces parents comme des monstres. Surtout quand je me rappelle à quel point moi je peux parfois pourrir mes enfants pour une broutille.

Et je crois que c'est là que se situe l'incompréhension. Pas tellement dans l'esprit, pas tellement dans le quotidien (je ne crois quand même pas que leurs enfants passent leur journée au coin, sinon c'est un peu triste en effet). Mais dans cette culpabilisation supposée des uns par les autres. Comme si les parents se réclamant de l'éducation bienveillante (notez que je ne dis pas "bienveillants") interdisaient complètement les cris, à tout le monde, en tout temps et en tout lieu, et n'étaient pas capables de tolérer qu'on ne pense pas comme eux. Mais ce n'est pas parce qu'on expose ses méthodes (idéales) et dénonce certains comportements (rarement frontalement en plus) qu'on se pense au-dessus de la mêlée et qu'on est infaillibles.

C'est vrai que, parfois, on peut croiser des personnes extrêmes dans leur façon de penser, terriblement dogmatiques et culpabilisantes. Ici même on m'a déjà reproché d'avoir refusé un câlin à ma fille parce que j'avais les mains dans le papier peint (véridique). Mais sous n'importe quel article parlant d'interdiction des châtiments corporels, on trouvera plusieurs commentateurs vantant les mérites d'une bonne baffe dans la tronche de temps à autre pour remettre les idées en place aux enfants. Ces personnes-là sont-elles pour autant représentatives de l'éducation traditionnelle ? Je ne crois pas. Je n'espère pas. Alors pourquoi condamner tout un courant parce qu'il existe quelques excités qui se pensent encore au temps des Croisades et sont partis en guerre contre les hérétiques ?

Et pourtant c'est comme ça, par le simple fait d'exister, même le plus pacifiquement possible, on brise des noix. Peut-être que j'y suis sensible parce que je suis végétarienne et que c'est à peu près le même combat (les végétariens brisent beaucoup de noix, et ce n'est pas seulement parce que ce sont des oléagineux pleins d'oméga 3 très bons pour la santé). C'est peut-être d'ailleurs pour ça, par habitude, que j'accepte habituellement de passer pour la reloue de service. Mais ça commence à me briser les noix qu'on me dise que je brise les noix.

Surtout qu'à part peut-être quelques créatures éthérées qui ne perdent jamais leur calme et restent positives et compréhensives en toutes circonstances, nous sommes faits exactement pareils vous et moi. Alors si on arrêtait cette petite guerre, qui est finalement plus une guerre d'idées qu'une guerre de faits, et qu'on était tous bienveillants les uns envers les autres ? Je crois qu'on peut tous admettre que la bienveillance, c'est un très beau concept, c'est aborder l'autre dans de bonnes dispositions, de façon empathique et sensible, et qu'il est dommage que sur Internet, ce soit devenu une insulte.