Les enfants sont-ils naturellement violents ?
J'ai eu dernièrement une dicussion très intéressante avec ma petite soeur, que vous devez remercier puisqu'elle vous vaut un billet dans cette période de disette creux.
Ma petite soeur (de neuf ans ma cadette) me demandait donc si Choupie était sage. Vaste question. Je ne considère pas Choupie comme une enfant difficile. Elle a un fort caractère, c'est certain, mais elle est toujours gérable, ce qui est pour moi le critère numéro 1. Non je ne suis pas à deux doigts d'appeler Super Nanny. Loin de là. Le pire qui puisse se passer, c'est que je crie moi et que je la laisse crier elle. Jamais elle ne nous tape, ne nous insulte ou ne désobéit quand c'est important. Pour moi, c'est donc un enfant plutôt sympa.
Enfin, pour un enfant de 3 ans, quoi. Bien sûr qu'elle hurle, s'oppose et fait parfois sciemment le contraire de ce qu'on lui dit. C'est peut-être ça qui a fait dire à la coiffeuse de mon mari, qui est aussi notre voisine (si si, vous savez, ces fameux voisins devant lesquels je baisse les yeux en me souvenant de mes cris de poissonnière) : "Oh ben dites donc, elle a pas l'air facile, votre femme fille !" Bref, pour moi Choupie est facile, pour les autres je n'en suis pas certaine (mais les autres ont-ils élevé récemment un enfant de 3 ans ?).
C'est donc ce que je dis à ma soeur (en version abrégée, hein, je ne fais pas des tartines aussi longues sur Messenger que sur le blog). Et elle me répond (j'en viens au fait - car oui tout cela n'était qu'une longue introduction ne traitant pas vraiment de violence, puisque je ne trouve justement pas Choupie violente) : "Oh ben un jour de toute façon tu en auras marre, et tu la mettras une heure sur le palier après l'y avoir tirée par les cheveux, comme tu faisais avec moi quand je te faisais chier ! MDR" (sic)
Silence (enfin, non réponse). Ce n'est pas la première fois que ma petite soeur me rappelle ce genre d'anecdotes très très loin de la ligne de conduite bienveillante que je me suis fixée en tant que mère, et à chaque fois cela me met mal à l'aise. Cette personne, celle qui maltraitait sa petite soeur (même ses petites soeurs, mais la première était quand même plus à même de se défendre, n'ayant que deux ans de moins, et elle me le rendait bien), ce n'est pas quelqu'un en qui je me reconnais. Ou plutôt c'est quelqu'un en qui je me reconnais trop. C'est la personne brute et sadique en moi, c'est une part de moi que je déteste mais qui durant ma jeunesse pouvait se montrer très facilement dans l'initimité de mon foyer, brisant en un instant la façade douce et discrète que j'offrais au reste du monde.
Bref, une nouvelle fois ma soeur me met face de ce moi non assumé, et je me sens acculée au moment de répondre. D'autant plus que sur Messenger, il est relativement compliqué de répondre par un bredouillement incompréhensible (bmfrmftulavésurmenbienmérité) et de changer de sujet. Mais cette fois-ci, les dieux de la rhétorique sont avec moi, et je trouve finalement la parade, après quelques secondes de mutisme (pendant lesquelles, après tout, j'aurais pu faire n'importe quoi : on n'est pas obligé de répondre de suite, si ?) : "Non mais Choupie n'est pas ma soeur."
Et d'un coup, je sens que je touche un truc. J'ai sans doute raison de culpabiliser et de détester cette part sombre en moi, qui s'exprimait beaucoup trop facilement quand j'étais plus jeune. Mais nous n'étions que des enfants. Moi autant qu'elle. Enfin, moi un peu moins qu'elle puisque j'avais neuf ans de plus, mais bon, je n'étais pas adulte non plus. Et contrairement à ce que j'ai pensé plus ou moins inconsciemment toute ma vie, je n'avais aucun rôle éducatif à son égard. Certes ce n'est pas joli joli, ces souvenirs, mais ils ne réfèrent pas à une sorte de vie antérieure de mère violente. Je n'ai jamais été violente avec mes propres enfants. Je l'ai été avec ma soeur, comme un enfant peut l'être avec un autre. Et une partie de cette culpabilité que je traînais depuis des années s'envole quand je le réalise.
Et puis de mon point de vue de mère cette fois-ci, une autre chose me frappe (chacun son tour, MDR... ou pas) : que faisaient mes parents pendant que ces choses-là se passaient dans leur maison ? C'est vrai que je me faisais disputer pour ces initiatives éducatives un brin musclées (c'est peut-être pour ça que la fameuse émission de télé s'appelle "Pascal le grand frère" ? je crois que je tiens encore un truc). Mais pas à chaque fois (généralement quand il y avait une trace, genre un bleu, une aiguille à tricoter dans l'oeil ou une brûlure d'encens - non mais l'aiguille et l'encens, c'était pas moi, c'était mon autre soeur !), et surtout après coup.
"On était grandes et capables de se garder toutes seules." De toute évidence non.
"Et de toute façon, c'est normal de torturer ses frères et soeurs plus jeunes (dixit ladite petite soeur torturée, décidément pas rancunière). Toutes mes copines l'ont fait ou ont été elles-mêmes torturées par leurs grands frères et soeurs."
Ça aussi c'est intéressant. Est-ce que comme je le crois, la violence éducative (ça peut tout à fait être ce qu'on appelle la VEO, la violence éducative ordinaire : les punitions humiliantes, les tapes, les remarques blessantes, les cris...) engendre la violence de enfants ? Il est clair que dans mon esprit d'enfant, si mes parents avaient le droit de me mettre des claques, j'avais le droit d'en mettre à ma soeur. S'ils ne m'en avaient jamais mis, est-ce que j'en aurais mis à ma soeur ? De même s'ils ne m'avaient jamais punie en m'enfermant, est-ce qu'il me serait venu à l'idée de le faire à ma soeur ? Ou du moins m'y serais-je sentie autorisée ? J'ai tendance à croire que non... mais le fait que toutes les amies de ma soeur aient fait ou subi des choses similaires m'interroge.
Bien sûr, ça ne prouve rien : les amies de ma soeur ont peut-être aussi été élevées dans cette même violence ordinaire, qui était encore plus ordinaire il y a vingt ans. D'ailleurs, au risque d'être cliché, moi et ma tête de première de la classe, on a beaucoup d'amies filles de profs (ou d'intellectuels gauchistes idéalistes de tout poil) et c'est vrai que je n'ai jamais entendu de pareilles choses chez elles. Alors que ma petite soeur et son caractère revêche rebelle a des amies venant de milieux beaucoup moins progressistes que les miennes... Donc le lien milieu violent (même si dans mon cas, mes parents n'étaient pas maltraitants : je reproduisais bien ce qu'ils faisaient, mais puissance 3)/enfant violent semble exister.
Pour autant, je suis une adulte on ne peut plus pacifique, et même pacifiste. L'idée de faire à mes filles ce que je faisais à mes soeurs me remplit littéralement d'horreur et jamais je ne suis ne serait-ce que tentée de lever la main sur elles. Peut-être est-ce grâce à (mes amies filles de profs vivant chez les Bisounours,) mes lectures, mes études, ma construction intellectuelle progressive (et progressiste). Peut-être que j'ai juste grandi. Mais si je suis devenue non violente juste en grandissant, est-ce que ça ne veut pas dire qu'il y a dans l'enfance un potentiel de violence ne demandant qu'à s'exprimer ? Est-il condamné à s'exprimer quoi qu'il arrive ? Et si on ne lui permet pas de s'exprimer, ne doit-on pas trouver un moyen de lui permettre de s'extérioriser par un autre biais ?
Ma soeur concluait la discussion par : "De toute façon, avec trois ans d'écart, ce sera un miracle si elles ne se tapent pas dessus." Moi j'ai toujours cru que c'était possible, d'avoir la maison des Bisounours. Avec des disputes, certes, mais sans scalpages et éborgnements routiniers. Mon côté idéaliste gauchiste sûrement. Mais c'est vrai que cette discussion m'a fait réfléchir à tout ce qui est pulsions, reproduction, rôle des parents (je dois avouer que comme mes parents - dont j'admire une partie de l'éducation et notamment celle-ci -, je suis plutôt branchée non interventionnisme), alors j'espère que dans quelques années, ce ne sera pas la guerre des tranchées dans mon salon...
(Non cet article n'apporte aucune réponse, désolée... il fait moins analyse que psychanalyse... mais je veux bien avoir vos expériences - d'enfants, de frères et soeurs, de parents - pour faire progresser ma réflexion...)