Le projet bébé, la fin de tous les autres projets ?
Si j'ai un défaut, c'est celui-ci : je suis envieuse. Et une éternelle insatisfaite.
Après vingt-cinq ans à envier les gens qui avaient un enfant, voilà presque deux ans que j'envie ceux qui n'en ont pas.
Et malgré mon âge on ne peut plus propice aux partouzes gamétales, j'en vois encore plein autour de moi. Il y a toutes mes amies qui verront plus tard, il y a les jeunes mariées de Mademoiselle Dentelle qui vont doucement s'y mettre mais rien ne presse, il y a aussi toutes les femmes qui écrivent sur Sous Notre Toit pour revendiquer qu'elles n'en veulent pas.
Je pourrais faire une liste en 150 entrées de tout ce que je leur envie. Les nuits à dormir, la liberté de mouvements, l'aisance financière (oui, même un SMIC quand tu es tout seul, c'est pas pareil qu'un SMIC quand tu as un enfant à charge)... Mais ce que je leur envie le plus, c'est leur TEMPS.
Moi, ma vie, du matin au soir, c'est de courir.
Enfin, "de courir", façon de parler, puisque je passe 75% de mon temps d'éveil devant mon ordinateur (et chez moi). Mais comme il s'en passe, des choses, sur mon ordinateur ! Tant que je ne sais pas où donner de la tête ! Articles à planifier et relire, mails pro, mails perso, modération des commentaires pour les sites Dentelle, commentaires sur mes blogs amis, réponses à mes commentaires, écriture d'articles perso, réseaux sociaux perso ou pro...
Quand enfin je déco (il paraît que c'est comme ça qu'on dit, maintenant : j'ai mis un petit moment à comprendre que ça n'avait rien à voir avec Valérie Damidot), c'est rarement pour faire des trucs ultra fun. Je vais faire les courses, j'étends la lessive, je passe la serpillère, je lave Choupie, je lui fais à manger, je tente de l'endormir...
Oui, des projets, j'aimerais bien en avoir plus. J'aimerais bien en avoir tout court. Mais quand je vois ceux des gens sans enfant, je me dis que ce n'est pas pour moi.
Voyager à l'étranger. C'est vrai, ça peut se faire avec un enfant (bon, organiser ça avec Choupie, moi ça me saoulerait à l'avance, je le reconnais, c'est mon côté grosse feignasse). Mais l'argent que je mets dans un billet d'avion (dans six billets d'avion, en fait), je ne le mets pas dans la nourriture de Choupie... et je crains que ce ne soit un peu plus important.
Écrire un livre. Trouvez-moi deux heures de libres dans ma journée, et je vous écrirai un bouquin. Cherchez bien, hein, parce que moi je ne les vois pas, ces deux heures. J'ai bien le temps d'écrire des articles, oui, c'est vrai. Avec Choupie à côté qui m'appelle toutes les deux minutes pour une chose ou une autre, ou le soir à 23h. Dans ces conditions, on ne peut pas faire de la littérature. Pas moi, en tout cas.
Se reconvertir. Devenir son propre patron, faire grossir sa petite entreprise, mener un projet professionnel de A à Z. Mais pendant que je mettrais ça en place, qui pourvoirait aux besoins de notre foyer ? Je ne peux pas me reposer sur les ressources de mon mari, il faudrait donc que ce soit rentable immédiatement. Vous en connaissez beaucoup, des petites entreprises rentables immédiatement ?
Déménager, changer de vie. Et devoir refaire le parquet abîmé par les divers machins renversés dessus par Choupie, le papier peint détruit par les chats. Déménager les innombrables meubles, les innombrables affaires, tout le bazar multiplié par deux ou trois depuis qu'on a Choupie. Louer une camionnette. Payer une caution. Chercher un autre emploi, sans garantie qu'il sera mieux que le précédent. Sans garantie tout court.
J'ai toujours pensé que les projets, ça se faisait quand on était jeune. Jeune, je commence doucement à moins l'être.
Vos parents à vous, ils faisaient des projets ? Les miens ont vécu quinze ans au même endroit (avant de divorcer), en faisant le même boulot, et n'ont jamais rien publié (pourtant, ce n'est pas l'envie qui leur manquait, entre les Mémoires d'un médecin de famille de mon père et le Crime à la fête des voisins de ma mère) (les titres ne sont pas véridiques, mais les projets de livres, si !).
J'envie la connaissance de lycée qui a publié son livre chez un éditeur, un vrai, un qui tient la route (bon, c'est pas Gallimard non plus, hein). J'envie l'amie qui prend une demi-année pour voyager en vivant sur son chômage. J'envie la camarade d'internat qui a racheté un commerce. J'envie les gens qui vont vivre dans une région cool. Ce ne sont pas des choses qui sont envisageables pour moi.
Je ne suis pas de mauvaise foi, je n'ai pas fait un enfant si tôt. J'aurais largement eu le temps de faire tout ça quand je n'en avais pas. J'ai étudié à la fac, ce n'était pas non plus Normale Sup. C'était justement ce qui me plaisait, dans la fac : ne pas être enfermée dans un rôle d'étudiante d'école prestigieuse ou dans celui de la travailleuse que j'étais censée devenir. Pouvoir avoir une vraie vie personnelle. Force est de constater que je n'en ai rien fait.
Que ne donnerais-je pas aujourd'hui pour avoir ce temps et pouvoir construire les projets qui me font envie ? Mais à l'époque, mon seul vrai projet, c'était de fonder une famille, et aucune autre envie n'était assez puissante pour me sortir de ma torpeur. Ah, et puis j'avais mon blog, aussi, auquel je tenais, et puis voilà.
J'ai réussi dans ces domaines, cela dit. J'ai une famille : un mari, un bébé et deux chats. Je ne suis pas une mère comblée, car si ma fille est parfaite, ma maternité ne l'est absolument pas. C'est bizarre, hein, de dire ça ? Non, je ne suis pas une mère comblée. Mais je suis une mère, ce que j'ai toujours voulu être en priorité. Ma vie trouve son sens en prenant soin de cette petite fille qui m'en demande beaucoup, mais me donne aussi énormément avec ses câlins, ses éclats de rire, son charabia et ses mimiques.
Et j'ai toujours un blog. Je vis même du blog. Pas du mien, c'est vrai, mais si je n'avais pas persévéré à bloguer contre vents et marées, je n'aurais pas l'emploi que j'ai aujourd'hui. Et mon blog perso a rempli une bonne partie des contrats que je lui avais fixés : avoir quelques commentaires, se créer un réseau dans le milieu, faire des sélections Hellocoton de temps à autre (oui, c'est un objectif), bénéficier d'une certaine reconnaissance. A tel point que j'hésite à la faire passer sur une plateforme plus pro, de peur qu'il perde cette minuscule petite renommée qu'il a aujourd'hui (paradoxe).
Alors d'une certaine façon, on peut parler d'accomplissement. Au détriment d'autre chose sans doute, mais dans ce qui me tenait le plus à coeur, ce dans quoi j'ai vraiment pris le temps de m'investir. Je suis une grosse chanceuse d'avoir trouvé l'homme qui m'a permis de fonder ma famille, qui a dit oui aux chats, au mariage, au(x) bébé(s), sans broncher, et le métier qui fait que chaque matin je suis heureuse de démarrer une nouvelle journée de travail. Tant pis si ce n'est que ça. C'est déjà beaucoup.
Et quoi que j'en dise, notre vie n'est pas finie, elle a sûrement encore quelques (belles) surprises pour nous !